Quand déclarer un changement de situation à Pôle emploi ?
Alors qu’Emmanuel Macron souhaite « accélérer » le renvoi des demandeurs d’emploi, Pôle Emploi vient de franchir un pas forcé vers la dématérialisation et le contrôle numérique des personnes sans emploi. Un chômeur a récemment été informé de sa radiation 1. Les lettres échangées entre Pôle Emploi et cet employé nous ont été communiquées confidentiellement, au motif que l’envoi de leurs candidatures par courrier recommandé plutôt que par Internet ne nous permettait pas de comprendre le « sérieux » de la les mesures prises pour constater qu’elles ont été prises pour trouver un emploi ».
Cette situation concrétise la volonté de Pôle Emploi de forcer les chômeurs, quel qu’en soit le coût pour utiliser les outils numériques. Alors qu’une radiation suspend le versement des allocations chômage, c’est un véritable chantage de survie que Pôle Emploi a commencé dans le seul but de dématérialiser accélérer ses services. Pôle Emploi ignore volontairement les études et rapports2 Voir en particulier le rapport du Défenseur des droits « Dématérialisation et inégalité d’accès aux services publics ». 2019, disponible ici. Cela montre que les lignes directrices en matière de dématérialisation constituent un obstacle à l’accès aux services publics pour les personnes les plus précaires et participent ainsi à leur marginalisation.
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À l’heure où les administrations françaises sont fortement encouragées3 Voir par exemple les recommandations du rapport « Tackling social benefit fraud : a lever of social justice for fair benefit », présenté au Premier ministre en 2019 et disponible ici. Pour mettre en œuvre des algorithmes qui attribuent un « score de risque » à tout le monde, comme celui utilisé aujourd’hui par les FAC pour sélectionner les personnes à filtrer, les directives de dématérialisation vont de pair avec le Cela s’accompagne du risque de renforcement du contrôle social par la collecte toujours plus fine de données personnelles.
Chantage à la dématérialisation
La lecture des lettres échangées entre ce chômeur et Pôle Emploi est édifiante. Après avoir reçu une lettre indiquant « Avertissement concernant la sanction pour manque de mesures de recherche d’emploi », le salarié envoie les reçus de ses 29 candidatures envoyées par courrier recommandé à Pôle Emploi.
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Dès réception de ces documents, le directeur de l’agence conserve sa décision de radier son enregistrement et la justifie en termes kafkaïens. Selon lui, « fournir un très grand nombre de candidatures par courrier recommandé » n’est pas une véritable recherche d’emploi, car l’utilisation des lettres recommandées n’est plus à la hauteur des « normes ». salarié avait déjà fait l’objet d’une présélection en 2017 et à ce moment-là, le fait qu’il ait postulé par courrier avait été accepté par Pôle Emploi.
Au contraire, le directeur insiste sur le « manque de sérieux des démarches entreprises » au motif que le salarié « ne justifie pas l’impossibilité d’utiliser les moyens de communication dématérialisés recommandés par l’institution (mobile, e-mail, ordinateur) » pour « augmenter les chances de recrutement » et confirme la suspension des prestations pour une période d’un mois.
Dématérialisation et inégalités
L’extorsion des missions de Pôle Emploi pour accélérer le processus de dématérialisation est d’autant plus violente que ses dirigeants ne peuvent ignorer les inégalités de contrôle et d’accès aux outils numériques. Précarité, personnes âgées, handicapées, Les étrangers, les détenus vivant dans une zone blanche : autant de groupes cibles pour lesquels la numérisation augmente la difficulté d’accès aux services publics.
Pour ces groupes cibles, la généralisation de la dématérialisation entraîne une charge administrative supplémentaire qui accroît leur exclusion sociale. Compte tenu de ces difficultés, les réclamations liées à la dématérialisation sont l’un des premiers motifs de saisine du Défenseur des droits. Dans un rapport publié en 2019, ce dernier exhorte les responsables politiques aux risques d’une dématérialisation forcée et rappelle que « si une seule personne était privée de ses droits en raison de la dématérialisation d’un service public, ce serait un échec pour notre démocratie et l’État de droit ».
Il semblerait que Pôle Emploi possédait ce document, malgré les déclarations de son PDG Jean Bassère, selon Treu et estiment que Pôle Emploi « doit utiliser le progrès technologique pour s’assurer que personne ne soit laissé sur le bord de la route ».
Vers une dématérialisation généralisée ?
Cependant, la situation décrite ci-dessus indique de nombreux cas similaires lorsque Pôle Emploi a expérimenté un « journal de recherche d’emploi » en Bourgogne-Franche-Comté et dans le Centre-Val-de-Loire. Créé en 2018 par la Freedom to Choose a Career Future Act, ce programme oblige tous les demandeurs d’emploi à expliquer leurs « procédures de recherche d’emploi » en ligne une fois par mois.
Cette expérience vise à évaluer la possibilité de généraliser l’engagement en faveur de l’explication numérique pour l’ensemble de la région, hommes et femmes au chômage. Compte tenu des ordres de rationalisation financière et de la priorité politique que la transformation numérique dans le plan « Action publique 2022 » d’Emmanuel Macron, il existe un grand risque que Pôle Emploi accepte les conséquences sociales néfastes d’un tel changement et force la dématérialisation d’un nombre croissant de ses activités d’ici quelques mois.
dématérialisation et contrôle social
La politique de dématérialisation présente un risque important de renforcement du contrôle social, en particulier des publics les plus précaries.5Voir par exemple l’article d’Olivier Tesquet « How artificial intelligence targets the precarious », disponible ici, ou le travail de Lucie Inland., sur une collection toujours plus importante des quantités de données sur les utilisateurs des services publics et l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle.
À la question d’un sénateur concernant les risques liés à l’utilisation du « Job Search Journal » sur À des fins de suivi, notre ancien ministre du Travail a déclaré que les données collectées avec cet outil généreront des « alertes » qui seront « dirigées vers des consultants » pour « analyser les situations de décrochage ». Elle ajoute que les consultants pourront ensuite « déposer une demande de contrôle auprès des conseillers dédiés qui sont chargés de la contrôler ». Tout en veillant à ce qu’aucun suivi ne soit déclenché de manière totalement automatique, il n’en demeure pas moins que ces politiques conduisent à une utilisation accrue des outils numériques pour identifier les « mauvais » chômeurs.
Le projet de loi précise que l’objectif de ce document est « d’identifier les demandeurs d’emploi qui auraient des difficultés à trouver un emploi ou qui n’auraient pas suffisamment de procédures actives de recherche d’emploi ». Il mentionne également un algorithme d’apprentissage automatique qui utilise le Le protocole a utilisé les données collectées pour mieux identifier l’évolution de la situation des chômeurs. 6 Nous savons également que Pôle Emploi, avec le projet « Mon assistant personnel », un outil basé sur des techniques d’intelligence artificielle qui, selon les déclarations que nous avons pu recueillir, a donné aux utilisateurs un score d’employabilité de zéro aurait donné.
Les politiques de dématérialisation peuvent également être utilisées pour entraver volontairement l’accès aux services gouvernementaux, tels que le Défenseur des droits7, voir le travail du CIMADE « dématérialisation des demandes de permis de séjour », disponible ici, et celui de Gisti ici. Quand il décrit comment certaines préfectures poussent les étrangers à l’illégalité en bloquant volontairement les demandes de rendez-vous en ligne pour demander ou renouveler un permis de séjour. Il s’agit de la seule procédure approuvée dans 30 préfectures en 2019. Contrôle social et accès aux données personnelles
Après tout, un outil tel que le « Job Search Journal » peut être apprécié dans le contexte du développement sans précédent de la politique de contrôle social numérique depuis les années 2010. Poussé par un discours néolibéral meurtrier sur la « lutte contre l’assistance », qui était en vogue pendant cette période électorale, le renforcement institutionnel des politiques de contrôle s’est accompagné d’une augmentation de la quantité de données collectées sur les bénéficiaires des prestations sociales. Cela a été réalisé grâce à l’interconnexion des actes administratifs, ainsi qu’à l’extension de la loi sur les communications pour les agents contrôlés. En 2013, les postes de premier officier ont été créés au sein de Pôle Emploi, spécifiquement dédiés au contrôle.
Pôle Emploi peut donc consulter différents fichiers d’organisations sociales, dont le fichier des prestations sociales (RNCPS), le Les fichiers de comptes bancaires (FICOBA) ou le fichier des étrangers résidant en France (AGDREF) 8Voir le rapport de la Cour des comptes « Combattre la fraude à la sécurité sociale », 2020, p. 53 à 57, disponible ici.
Depuis décembre 2020, les agents de contrôle de Pôle Emploi disposent également d’un droit de communication qui leur permet d’obtenir des informations auprès de tiers. Cela leur permet d’accéder aux relevés bancaires, de demander des informations personnelles auprès d’employeurs ou de fournisseurs de gaz et d’électricité.
Cette évolution touche toutes les institutions sociales, et en particulier les FAC, dont les droits d’accès sont encore plus étendus en termes de fichiers consultables et de droit de la communication.Voir le rapport de la Cour des comptes « Combating social security fraud », précité, p. 53 à 57.
Scoring et surveillance algorithmique
Parallèle à L’extension du droit d’accès aux données personnelles est régulièrement dénoncée l’utilisation d’algorithmes de « scoring » par les organisations sociales à des fins de contrôle, dont les effets (déshumanisation, harcèlement, difficultés de recours et discrimination accrue) sont régulièrement dénoncés10 Voir les rapports du Défenseur des droits ici et ici. Voir également le travail de Lucie Inland. Ces algorithmes attribuent un « score de risque » à chaque destinataire, ce qui signifie qu’une probabilité d’être un « fraudeur » est ensuite utilisée pour choisir qui doit être filtré.
L’utilisation à grande échelle des techniques d’évaluation a été initiée par la CAF en 2011 et est actuellement en cours de développement au Pôle Emploi11. Voir le rapport de la Cour des comptes intitulé « Lutter contre la fraude à la sécurité sociale ». Cité plus haut, p. 50. Aujourd’hui, si nous ne savons pas exactement comment les données collectées par le « Journal for Job Search » sont utilisées, l’État partie tripartite – Unedic-Pôle Emploi 2019-2022 – évoque leur utilisation en lien avec des solutions « d’accompagnement » pour l’intelligence artificielle. Dans un livre passionnant intitulé « Controlling Assisted People », Vincent Dubois examine les effets de ces techniques sur la pratique du contrôle du CAF12Vincent Dubois, 2021. Il montre avec des chiffres à l’appui que l’introduction du score de risque s’est accompagnée d’un contrôle excessif des groupes de population les plus précaires, en particulier les parents isolés (principalement des femmes célibataires), les personnes à faible revenu, les chômeurs ou les bénéficiaires de minima sociaux.
Bien qu’il ne soit pas possible aujourd’hui de donner une liste complète des variables utilisées pour calculer l’évaluation des risques, Vincent Dubois mentionne : le montant des revenus, la situation professionnelle personnelle et celle de son conjoint, la situation familiale (couple, seul, nombre d’enfants, âge des enfants), le mode de versement des prestations sociales (virement bancaire ou non), ou le type de contact avec la CAF (appeler ou s’y rendre) 13Voir Vincent Dubois, Morgane Paris et Pierre-Edouard Weil. 2018. « Les chiffres et les droits ». Disponible ici. . La Cour des comptes ajoute que les variables suivantes prennent en compte : la nationalité du bénéficiaire dans trois catégories (France, UE et hors UE), le code postal et les caractéristiques socio-économiques de la commune de résidence (proportion de salariés occupés, part de bénéficiaires à faible revenu… ) 14Voir le rapport de la Cour des comptes intitulé « Combattre la fraude en matière de prestations sociales ». Cité ci-dessus, p. 49.
En plus des populations ci-dessus, le simple fait que de telles variables aient été retenues suggère que le score de risque, et donc la probabilité d’être contrôlé, est pour un étranger ou pour les habitants des quartiers sont plus nombreux que pour le reste de la population.
Vincent Dubois montre enfin que la grande majorité des sanctions imposées dans le cadre d’un audit sont dues à de simples erreurs de déclaration qui sont même favorisées par la complexité des règles de calcul des minimums sociaux… Dans ce contexte, il semble légitime de parler de véritables politiques de harcèlement social numérique, d’autant plus insupportable que les personnes les plus riches sont traitées de manière beaucoup plus favorable par les autorités. Rappelons en particulier que l’État français favorisait la résolution « amiable » des litiges fiscaux au cours de la même période15. À ce sujet, voir Alexis Spire, « Weak and Powerful in the Face of Taxes », 2012, alors que les estimations disponibles montrent que la fraude aux prestations sociales, qui s’élève à environ 2 milliards d’euros, est estimées marginales, par rapport aux pertes de 80 à 100 milliards d’euros en raison de la fraude fiscale.
Une question européenne (et des victoires)
Ces questions sont également soulevées au niveau européen, alors que le règlement sur l’IA est en discussion. Outre les aspects de sécurité dont nous avons discuté ici et ici, ce règlement ouvre également la porte au développement généralisé de tels systèmes16 Voir le rapport de Human Rights Watch « QA : comment la réglementation erronée de l’UE sur l’intelligence artificielle menace le filet de sécurité sociale », disponible ici.
Mais l’expérience européenne offre également des perspectives. Aux Pays-Bas, un système de lutte contre la fraude sociale a été déclaré illégal en 2020 après avoir été attaqué par un groupe d’associations. En Pologne, un algorithme pour les chômeurs a été déclaré inconstitutionnel en 2019. À chaque fois, le Les risques de discrimination, les difficultés de recours ou l’atteinte disproportionnée à la vie privée sont dénoncés et reconnus.
Appel à témoignages
Dans ce contexte, en collaboration avec plusieurs organisations, des personnes ayant fait l’objet d’un contrôle de Pôle Emploi ou des FAC, ou avec des représentants de la fonction publique qui en ont été témoins. Nous espérons que vos témoignages nous aideront à mieux comprendre les politiques de contrôle et les algorithmes utilisés et à documenter les pratiques abusives et discriminatoires. La mobilisation sur ces questions n’en est qu’à ses balbutiements, et nous avons l’intention de nouer des liens avec elle !
références
↑ 1 | Les lettres échangées entre Pôle Emploi et cet employé nous ont été communiquées de manière confidentielle. |
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↑ 2 | Voir en particulier le rapport du Défenseur des droits « Dematerialization and Inequality in Accès aux services publics ». 2019. Disponible ici. |
↑ 3 | Voir, par exemple, les recommandations du rapport « Combattre la fraude sociale : un levier pour justice sociale pour une meilleure livraison juste », qui a été remis au Premier ministre en 2019 et est disponible ici. |
↑ 4 | Ce point est d’autant plus édifiant que l’employé en question avait déjà été inspecté en 2017 et que sur ce point lorsque le fait qu’il avait postulé par la poste a été accepté par Pôle Emploi. |
↑ 5 | Voir par exemple l’article d’Olivier Tesquet « How Artificial Intelligence Aims Most Precarious », disponible ici ou dans les œuvres de Lucie Inland. |
↑ 6 | Nous savons également que Pôle Emploi travaille à automatiser le soutien des demandeurs d’emploi à travers le projet « My Assistant « Personal », un outil basé sur des techniques d’intelligence artificielle qui, selon les déclarations que nous avons pu recueillir, aurait donné aux utilisateurs un score d’employabilité nul. |
↑ 7 | Consultez les travaux de la Cimade « Dématérialisation des demandes de permis de séjour » ici et ceux de Gisti ici. |
Voir le rapport de la Cour des comptes « Combattre la fraude à la sécurité sociale », 2020, p. 53 à 57, disponible ici. | |
↑ 9 | Voir le rapport de la cour des comptes « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales » cité ci-dessus, p. 53, Dessus 57. |
↑ 10 | Voir les rapports du défenseur des droits ici et ici. Regardez aussi Les Travaux de Lucie au niveau national. |
↑ 11 | Voir le Rapport de la cour des comptes « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales ». » Cité ci-dessus, p. 50 ne sachant pas exactement comment les données collectées par le « Journal for Job Search » sont utilisées aujourd’hui, l’État partie tripartite – Unedic-Pôle Emploi 2019-2022 – discute de leur utilisation en lien avec des solutions d’intelligence artificielle « d’accompagnement ». |
12. | Vincent Dubois, 2021. « Contrôle de l’Assisté. La genèse et l’utilisation d’un slogan ». |
↑ 13 | |
↑ 14 | Voir le rapport de la cour des comptes « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales ». Cité ci-dessus, p. 49. |
↑ 15 | Sur ce sujet, par Alexis Spire, « Faibles et puissants face à l’impôt », 2012. |
↑ 16 | Voir le rapport de Human Rights Watch « QA : comment la réglementation erronée de l’UE sur les intelligence affects social Safety net at risk » disponible ici. |